Visions du marchéPremium

"L'EDUCATION ET LA CONNAISSANCE SERONT TOUJOURS NECESSAIRES"

INTERVIEW EXCLUSIVE AVEC JEAN-MICHEL PERRUCHON 

Nous sommes parvenus à nous entretenir avec Jean-Michel Perruchon à Paris, entre ses nombreux voyages et interventions en tant que professeur invité. 30 années d’affilée au sommet en tant qu’ambassadeur de la Pâtisserie ne peuvent pas être traduites autrement en une vue d’ensemble, des tendances et des points importants. Notre secteur est sous pression et seuls les professionnels qualifiés survivront dans la jungle entre les consommateurs exigeants, les critiques superficielles des médias sociaux et la mondialisation de la pâtisserie ‘française’.

COMMENT TOUT A COMMENCE 

Jeune loustic d’à peine 11 ans, Jean-Michel Perruchon s’est retrouvé chez son voisin boulanger, où il passait toutes ses vacances entre les pâtes, les crèmes, les rouleaux à pâtisserie, les croissants et baguettes sortant du four. Après quelques saisons seulement, il avait en toute logique acquis le statut de garçon boulanger, puis celui de professionnel accompli. Peu après, Perruchon est parti pour Saint-Brieuc, où il a directement pu intégrer une équipe nombreuse. Déjà alors une boulangerie fonctionnant avec deux équipes et où chacun était responsable d’un ‘poste’ (une discipline).

“Je me sens comme une locomotive pour motiver et inspirer mes troupes. Cela me vaut beaucoup de respect en retour“

- Jean-Michel Perruchon

PARIS L'APPELAIT

Perruchon
Jean-Michel Perruchon

Paris l’appelait et Jean-Michel ne pouvait résister à cet appel. Il devait travailler dans la capitale de la gastronomie, de la pâtisserie, de la confiserie et du chocolat et le ferait. Tout le monde lui avait assuré qu’il y avait suffisamment de travail et que toutes les maisons renommées étaient en quête de jeunes talents. Rien n’était moins vrai. Proche du désespoir, après bien des soucis, un porte-monnaie vide et une nuit dans la salle des pas perdus de Montparnasse, il trouve à 20 ans un emploi mal rémunéré chez un charcutier. Tenace et persévérant, il poursuit sa quête et se retrouve enfin, après un détour par la chocolaterie Constant, embauché chez Fauchon (Place de la Madeleine).

AU BAS DE L'ECHELLE 

Jean-Michel Perruchon débute comme tout le monde en bas de l’échelle, pour passer ensuite par toutes les disciplines (tourage, petite pâtisserie, entremets, confiserie, petits fours, …).

Jean-Michel Perruchon: “Après 4 années de travail intensif et discipliné chez Fauchon, je suis passé chez LeNôtre pour ouvrir les Jardins LeNôtre sur les Champs-Elysées. Un travail d’horeca très lourd, de neuf heures du matin à minuit, voire plus tard. Finalement, je suis retourné chez Fauchon, où Pierre Hermé dirigeait une brigade de pâtisserie. Une période fantastique marquée par de nombreux jeunes virtuoses de la pâtisserie: Christophe Felder, Fréderic Bau, Gilles Marchal.”

PARIS ET LA PATISSERIE

StHonore
Saint-Honoré

Bien que les premiers gâteaux aient été créés par les Italiens, Paris a été le berceau de la pâtisserie. Au début du 19e siècle, des artisans venaient démontrer leurs talents et connaissances aux châtelains de cette époque. Des recettes traditionnelles, comme le millefeuille, le Saint-Honoré, qu’on retrouve p.ex. dans les livres de recettes les plus anciens d’Antonin Carême, font aujourd’hui partie de l’héritage culturel français. C’est peut-être cette tradition qui rend la pâtisserie française si attrayante aux yeux des étrangers. Des maisons avec une solide réputation: Fauchon, Ladurée et Pierre Hermé, en combinaison avec la nouvelle génération de jeunes talents: Yann Couvreur, Yann Menguy, Cyril Lignac, Arnaud Larher.

Paris ne s’assoupit pas, de nouveaux magasins ne cessent d’ouvrir et la touche féminine, p.ex. avec Claire Damon de la boutique Des Gâteaux et du Pain, ne rend l’ensemble que plus élégant pour les visiteurs curieux étrangers. Le quartier de Saint Germain est un exemple parfait de ce qu’on peut trouver à à peine quelques pas: Ladurée, Larnicol, Un Dimanche à Paris, Mulot. Ce sont toutes des boutiques réputées étalant leur style depuis des années déjà. Aujourd’hui, on note des ouvertures moins centrales. Notre Pâtisserie, La Goutte d’Or, Carl Marletti misent sur la clientèle locale. Yann Brys ouvre ‘Le Tourbillon’ juste en dehors de Paris, mais a une vitrine à l’Hôtel Prince de Galles. Les prix élevés de toutes ces douceurs font partie du charme!

L’Afternoon Tea Time à Paris n’est plus réservé aux privilégiés, mais s’est transformé en de luxueux moments de dégustation de pâtisserie fine. Alors qu’avant, tous les projecteurs étaient braqués sur le chef seul, les pâtissiers jouent désormais aussi un rôle majeur dans les hôtels cinq étoiles. Cédric Grolet, Angelo Musa et jusqu’il y a quelques années Christophe Felder et Christophe Michalak, ayant à nouveau accordé à la pâtisserie ‘high tea’ l’attention nécessaire. Aujourd’hui, ce sont presque des figures médiatiques largement soutenues par les médias sociaux, la presse populaire et les suppléments du week-end de journaux nationaux.

Les concept stores dans les galeries de luxe comme Lafayette, Printemps et Beaupassage constituent un troisième phénomène. Un véritable aimant pour les accros au shopping et foodies, qui retrouvent sous un même toit tous les noms de la haute pâtisserie. Une idée venue du Japon, où chaque grande surface abrite un gastronomy department store. Il s’agit là d’une belle vitrine pour les pâtissiers touchant ici un public mondial et suscitant l’intérêt de la presse spécialisée ou non.

FONDATION DE BELLOUET CONSEIL 

L’étape la plus importante a été la création en 1989 de l’école Bellouet Conseil avec Joël Bellouet, enseignant depuis 12 ans déjà à l’Ecole LeNôtre, qui était alors la référence dans le monde gastronomique. Un coup dans le mille. Dès le début, l’école Bellouet Conseil est devenue un incontournable pour les pâtissiers, chocolatiers et confiseurs passionnés du Japon, de France, de Belgique et d’Italie. 30 ans plus tard, l’école Bellouet est aujourd’hui une référence.

histoire

Recruter et former les talents

“Outre Joël Bellouet et moi-même, il y a toujours eu de la place au sein de notre équipe pour les jeunes talents, des personnes ayant entre-temps décroché des titres et médailles. Emmanuel Ryon, Christophe Felder, Pascal Brunstein, Gaëtan Paris, Stéphane Glacier, Julien Alvarez, Eric Jubin, Jérôme Landrieu, Loïc Bret, Olivier Ménard, Guillaume Mabilleau.

Une liste dynamique de personnalités et de savoir-faire. Je reçois régulièrement des CV que je suis; j’ajoute des notes concernant leur multilinguisme, leur manière de travailler, leur créativité, … Tout le monde ne doit pas avoir l’ambition de devenir MOF, mais je tiens tout de même à ce qu’ils soient motivés pour participer à des concours.“

PAS UNE ECOLE CLASSIQUE

“Nous ne sommes pas une école classique où seul le savoir-faire compte. Le charisme, l’esprit de compétition et une petite touche de prestige sont également importants lors du recrutement de collaborateurs. C’est pourquoi nous faisons également appel à des chefs externes afin de convaincre nos clients internationaux de notre multiplicité. Sadaharu Aoki, Quentin Bailly, Etienne Leroy, Yann Brys, … sont des professionnels réputés jouissant d’une part d’un prestige international et jouant d’autre part aussi le rôle d’Ambassadeur de notre école. »

Multitâche

“Je me sens comme une locomotive pour motiver et inspirer mes troupes. Cela me vaut beaucoup de respect en retour. Je crée toujours de nouveaux produits, recettes, styles, … Il faut continuer à avancer. Je remplis aujourd’hui une fonction multitâche au sein de l’école: manager, professeur, éditeur, responsable du personnel, fournisseur, expert en marketing, etc.”

Stage organisés

Quelque 35 stages sont organisés chaque année sur le thème de la pâtisserie, de la chocolaterie, de la boulangerie, de la glace et du sucre artistique. Aujourd’hui, la viennoiserie a la côte, tout comme l’éclair. Nous en tenons compte lors de la composition de nouveaux stages. Nous recevons environ 1.000 stagiaires et élèves par an, d’une cinquantaine de nationalités. L’Asie arrive en tête avec des personnes venant du japon, de Taïwan, de Corée, de Chine, de Singapour. Elles suivent la pâtisserie française de près et l’utilisent aussi comme référence pour leurs propres développements et créations. L’Europe centrale et l’Europe de l’Est sont en pleine progression, tout comme la Russie. En revanche, certains pays comme l’Italie et l’Allemagne suivent leur propre voie avec leurs propres écoles, peut-être en raison de leurs connaissances linguistiques limitées.”

Stages de longue durée

“40 stagiaires sont admis pendant quatre sessions de 12 semaines. Durant trois mois, douze stages sont proposés. Ici, on travaille à partir de la base avec la pâtisserie classique, la chocolaterie, la viennoiserie, les éclairs, la pâte feuilletée, les crèmes, les biscuits. En bref, toutes les techniques de base et recettes pour travailler. Les stagiaires ont l’opportunité dans ce cadre de travailler deux mois dans une maison renommée à Paris.”

 

 

COLLECTION DE LIVRES SPECIALISES 

La collection de livres spécialisés publiée par Bellouet Conseil est impressionnante. Ils en seront prochainement au 22e, dont une bonne partie traduite en espagnol, en japonais et en anglais. Les premiers livres étaient du genre de ‘l’art du sucre soufflé’, ‘l’art du chocolat’, etc. Aujourd’hui, il s’agit plutôt de publications spécialisées s’attardant sur les nouvelles tendances et techniques, sans oublier les classiques. Nous pensons p.ex. à la mode de la viennoiserie et des glaçages colorés. Les derniers livres offrent aussi une vitrine aux professeurs de Bellouet Conseil, qui partagent leurs créations.

CONCURRENCE EN ASIE

Après la dispersion en France avec une dizaine d’écoles privées, nous voyons à présent les offres d’écoles de pâtisserie ‘à la française’ pousser comme des champignons en Asie. Depuis environ cinq ans, on observe une explosion autour de la pâtisserie avec des démonstrations, des master classes dans des écoles privées. Sans oublier la force et l’influence indéniables des médias sociaux. Bon nombre de ces professeurs et chefs asiatiques, enseignant la pâtisserie française, ne sont jamais venus à Paris ou en France. Cela génère chez les stagiaires le besoin de rajouter Paris à leur liste en vue d’une ‘confrontation avec la réalité’.

Les Asiatique

Les personnes vraiment motivées suivent la base dans une école spécialisée japonaise et suivent ensuite le stage de 12 semaines à Bellouet Conseil. Les Asiatiques ne vivent et travaillent pas comme nous. Les Européens dépensent de l’argent pour leur maison, leurs meubles, leur jardin, le sport, les vacances. Les Asiatiques ont bien moins de vacances que nous et n’ont pas de week-ends ou de temps libre pour leurs occupations privées comme nous. Lorsqu’ils prévoient tout de même un voyage en Europe, cela ne leur posera donc pas de problème de dépenser de l’argent pour un stage comme celui-ci ou un sac à main Louis Vuitton coûteux.

MENTALITE NOUVELLE GENERATION 

«Le souci majeur aujourd’hui est la mentalité de la nouvelle génération. Ils ont l’impression de connaître, juste parce qu’ils ont vu passer une photo sur Instagram ou Facebook. Ils connaissent p.ex. la table rotative, mais n’en ont jamais utilisé une. Les Asiatiques ont en particulier appris leur métier assez tard et ont acquis trop peu de pratique. Ils se cachent littéralement derrière leur smartphone. Ils vont apprendre, cela ne fait aucun doute, ils sont motivés. Mais on le voit partout: une main pour filmer avec le smartphone et l’autre pour prendre des notes.

taartenchocolade

L’AVENIR 

“De plus grandes affaires vont apparaître avec une meilleure sélection de personnel. Ici, on n’aura recours aux professionnels (chocolatiers, pâtissiers) que pour l’essence, les connaissances techniques et non pour peler des pommes, sortir un chariot de pain du four ou prendre des commandes et stocker. Pour cela, pas besoin de pâtissiers qualifiés. Vous pouvez former des collaborateurs non qualifiés pour finir un gâteau, poser des pralines sur un tapis ou mettre un biscuit dans un moule. La pâtisserie devra d’autre part être produite de manière plus rationnelle, moins complexe. Sadaharu Aoki, qui réalise une pâtisserie élégante, simple, avec des saveurs claires et délicieuses, et une finition sans fanfreluches, mais très pure, constitue un magnifique exemple. Puis, il y a le retour aux produits locaux. Le respect des saisons comme on le voit dans le monde des restaurants, pas de framboises en hiver, ni de fruits exotiques transportés en avion depuis l’autre bout de la planète.”

AVENIR DE L'ECOLE 

de concurrence en plus, sans parler des réseaux sociaux. Il faut suivre l’évolution au quotidien et réagir rapidement. Des initiatives comme les démonstrations et formations en ligne ne perceront jamais vraiment, mais seront plutôt un complément. Les professionnels veulent toucher, mélanger, goûter, sentir, … les ingrédients et produits. Et cela n’est pas possible derrière un écran d’ordinateur.”

Wat heb je nodig

Accès GRATUIT à l'article
ou
Faites un essai gratuit!Devenez un partenaire premium gratuit pendant un mois
et découvrez tous les avantages uniques que nous avons à vous offrir.
  • checknewsletter hebdomadaire avec des nouvelles de votre secteur
  • checkl'accès numérique à 35 revues spécialisées et à des aperçus du secteur financier
  • checkVos messages sur une sélection de sites web spécialisés
  • checkune visibilité maximale pour votre entreprise
Vous êtes déjà abonné? 
Écrit par Bruno Van Vaerenbergh18 novembre 2019
Magazine imprimé

Édition Récente
06 novembre 2025

Lire la suite

Découvrez la dernière édition de notre magazine, qui regorge d'articles inspirants, d'analyses approfondies et de visuels époustouflants. Laissez-vous entraîner dans un voyage à travers les sujets les plus brûlants et les histoires que vous ne voudrez pas manquer.

Dans ce magazine